Il y a presque vingt ans, en 2002, Jean-Marie Le Pen, alors Président du Front National, accédait au second tour des élections présidentielles françaises. Le comédien Jamel Debbouze avait écrit un sketch dans lequel il faisait dire à sa mère « On va tous mourir ! ». Cette réplique, qui faisait à la fois rire et pleurer, est devenue culte. Elle a résonné dans la tête de plusieurs générations, dont la mienne. Mais pour en saisir la puissance, il faut se remettre dans le contexte de l’époque.
Prise de conscience
Le 21 avril 2002 est une date inédite dans la vie politique française puisqu’un candidat d’un parti classé à l’extrême droite de l’échiquier politique avait réussi à se qualifier, pour la première fois, pour le second tour d’une élection présidentielle.
Ce jour-là, à 20 heures, les estimations donnaient Jacques Chirac en tête avec 20 % des voix et Jean-Marie Le Pen à 17 %, éliminant Lionel Jospin, candidat du Parti Socialiste, donné à 16 % des suffrages. Ce dernier annonce le soir même son retrait de la vie politique. Une onde de choc traverse alors la France et résonne bien au-delà des frontières.
Revenons à 2020 : pendant le récent confinement décrété dès le 17 mars en réponse à la crise sanitaire du Covid-19, les réseaux sociaux se sont inspirés de cette fameuse réplique en créant le slogan « On va tous mûrir ! ». Subtil jeu de mots que j’ai personnellement adoré. Je l’ai relayé et promu. Il évoquait pour moi un réel espoir, celui d’une prise de conscience collective au service de l’intérêt général, du progrès humain.
Plus que jamais, l’heure de l’intelligence collective avait sonné, telle une évidence ignorée pendant des décennies. On avait pris conscience qu’il fallait évoluer vite, répondre aux nouvelles aspirations des gens en matière d’écologie et de société, revoir nos grilles d’évaluation et de valorisation des salaires et du travail, regarder les autres, les respecter, plus, mieux. Le monde a découvert que les vrais héros n’étaient pas ceux à qui il avait décerné ce titre, souvent pour leur capacité à divertir, mais que tous ceux qui se battaient au quotidien pour la vie et la survie de leurs contemporains le méritaient plus que tous.
Nous avons eu le temps de réfléchir, de décider de nos choix de vie, de notre avenir. Oui, nous avons eu le temps de mûrir.
Je suis sceptique, rassurez-moi !
Pourtant réputé pour être un éternel optimiste, je l’avoue, aujourd’hui je suis sceptique. Je suis même à deux doigts de devenir carrément pessimiste quand je vois le comportement de nombreuses personnes post-confinement : je pense aux masques jetés n’importe où, aux déchets dans des terrains vagues ou dans des cours d’eau, aux détritus sur les parkings, à cet ours tué par balles dans les Pyrénées, je pense à l’impatience des automobilistes sur la route, je pense aux incivilités en tout genre.
Certes ces comportements irresponsables existaient bien avant le confinement. Mais nous sommes très nombreux à avoir espéré que cette période soit utile pour changer de logiciel, pour changer de paradigmes, pour faire émerger ce qu’il y a de plus noble et plus beau chez l’Homme.
La crise sanitaire a été d’une violence inouïe tant par les drames humains que par les restrictions et les privations de liberté de mouvement qu’elle a engendrées. Sa soudaineté et son extrême violence nous ont d’abord surpris puis nous ont plongé dans une véritable introspection. Plus rien ne devait être comme avant, on y a cru, j’y ai cru. L’Homme a la mémoire courte, très courte.
Mais, je n’espère qu’une chose : me tromper, oui, je ne demande qu’à avoir tort.
Pas de retour en arrière
Ne faisons pas marche arrière. Ne commettons pas la grave erreur de ne pas apprendre, de ne rien retenir de cette grave crise, humainement dramatique et économiquement désastreuse. Ne faisons pas comme si de rien n’était. Ne reprenons pas notre train-train quotidien et nos vieilles habitudes en faisant fi de ce qui vient de se passer, de ce que l’humanité entière vient de vivre et continue encore d’endurer sur d’autres continents.
C’est ce qui nous pend au nez. Ce chemin, s’il est très probable, n’est pas inéluctable car « L’Homme est capable de merveilles et de pires folies », disait la chanson. Gageons que cette fois-ci, l’Homme qui détient les clés de son avenir, lié à cette terre nourricière, saura retenir la leçon que lui a infligé un minuscule virus invisible à l’œil nu, lui rappelant sa petitesse, sa fragilité, lui faisant peur, le cloitrant chez lui et l’éloignant physiquement de ses proches, de ceux qu’il aime, mettant à terre son économie et donnant à la nature le temps de souffler.
Pour une leçon, c’en est une belle. La pause était nécessaire, certes, mais elle a coûté cher, très cher, avec des drames humains et des conséquences économiques et sociales incommensurables.
Tous les espoirs sont permis !
Bien évidemment, nombreux sont les élus, les décideurs économiques, les chefs d’entreprises, les acteurs sociaux et culturels, les citoyens comme vous et moi, qui ont envie que les choses changent et certains agissent déjà dans ce sens avec volonté et énergie.
Il n’est donc pas question pour moi de noircir totalement le tableau. Pourquoi faut-il attendre une catastrophe pour agir ? Pourquoi gérons-nous toujours dans l’urgence ? Où est passé notre sens de l’anticipation, où est passé le bon sens ?
Il nous a fallu une crise majeure pour avoir un essai grandeur nature démontrant que ce qui semblait impossible la veille devenait possible le lendemain. Actons de ne pas attendre la prochaine crise pour agir, pour améliorer l’existant, soutenir le présent et préparer l’avenir avec sérénité, volontarisme et courage politique.
Pour ma part, comme dans la fable amérindienne du colibris qui, lors d’un feu de forêt, ne laisse sa part à personne et contribue à éteindre l’incendie avec quelques gouttes d’eau transportées dans son bec minuscule, je promets d’y croire et d’apporter ma petite pierre à l’édifice, je m’y engage. Alors oui, je suis sceptique mais je veux croire que je me trompe. J’ai sincèrement envie d’avoir tort.
L’histoire nous a montré que lorsque les élites, les gouvernants, les puissants, les décideurs ne prennent pas conscience des nouvelles aspirations du plus grand nombre, ne ressentent pas les évolutions nécessaires d’une époque, alors les sociétés entrent dans la phase du déclin ! Celle-ci devient alors inéluctable et ce quels que soient les artifices et les stratagèmes pour l’éviter. Car comme le disait Winston Churchill : « Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre ». Mûrir, pour un peuple, c’est se souvenir.